De la « stratégie de l’escargot » à la « progression douce »,
une autre manière d’envisager les expéditions en Himalaya
En ce printemps 2010, je reviens du Noijing Kansang, un 7000 proche de Lhassa.
C’est ma troisième expédition sur ce sommet et c’est aussi là-haut que l’aventure de "la progression douce" a commencé, il y a quatre ans.
Une histoire qui a profondément bousculé ma manière de vivre et d’organiser mes expéditions en Himalaya.
Et, c’est cette histoire que j’aimerais vous conter... par les films réalisés sur le sujet.
Noijing Kansang, automne 2006
Il fait mauvais temps au Tibet en ce début d’automne. Les éclaircies sont à la fois rares et courtes. Progresser en altitude est un vrai casse-tête. Et pourtant, à notre grande surprise, nous avons atteint le sommet presque facilement, en progressant de manière continue et en doublant le nombre de camps pour profiter des rares accalmies.
Première expérience d’une « progression douce », cette expédition au Noijing m’a fait basculée dans un autre monde. En m’obligeant à repenser mon accompagnement en haute altitude. Cette expérience grandeur nature montrait qu’il était possible de vivre en altitude (entre 6000 et 7000 m) et d’y séjourner pour une durée importante sans forcément souffrir, ni rencontrer de difficultés particulières. La manière de progresser semblait un facteur déterminant.
Si cette analyse parait évidente aujourd’hui, elle n’en demeurait pas mois à contre-courant de la plupart des expéditions en Himalaya organisées sur le mode de l’incursion : « vite en haut, vite en bas » pour ne surtout pas séjourner en altitude, dans « la zone de la mort »… C’était évidemment comme cela que pendant plus de 15 ans j’avais précédemment menées mes ascensions.
Il n’est peut être pas inutile de rappeler le premier film de Bertrand Delapierre avec François Damilano sur notre expédition au Nemjung à l’automne 2004. Avec « Skippers d’altitude », nous en sommes encore à la pré histoire. Une certaine réflexion émerge de l’écriture du film, mais il n’est pas encore question d’une approche raisonnée de l’himalayisme.
Shishapangma, printemps 2007
Le petit film de Paul Vulin reflète cette atmosphère de plaisir et de détente.
Ce Shishapangma 2007 nous a conforté dans plusieurs idées :
1…, Il est possible de vivre longtemps en haute altitude, même pour l’ascension d’un 8000.
2…, Ce séjour en altitude est source de plaisir, sans problème de MAM particuliers.
3…, Des efforts calibrés et limités facilitent l’acclimatation :
- Pas plus de 300 à 500 m entre deux nuits consécutives.
- Un poids du sac à dos limité (15 puis10 kg). C’est le début de l’utilisation systématique d’un peson, au camp de base mais aussi à tous les camps d’altitude durant l’ascension.
Putha Hinchuli, printemps 2008
Cette ascension partagée avec François Damilano et nos clients marquera un véritable tournant.
Cette réussite «
tous ensemble au sommet » a permis de réaliser un film didactique témoignant de la réflexion en cours sur la progression douce. Documentaire de 12 mn,
« La stratégie de l’escargot » explique la démarche et montre sa mise en œuvre sur un sommet peu exigeant techniquement mais dépassant les 7000 mètres avec des alpinistes amateurs dont c’est la première expérience en haute altitude.
Les notions de plaisir et de « faire ensemble » sont mises en avant. Pour autant ce témoignage n’est pas un éloge de la lenteur, mais plutôt une mise en image de « la conscience de faire »,. On pourrait parler d’une pratique raisonnée et respectueuse de la haute altitude, si ces termes n’étaient pas trop chargés de jugements de valeur.
D’autre documents ont complété le propos sur cette expédition :
Le film de Jean René Talopp… aborde l’ascension du sommet sous l’angle d’une l’histoire vécue au jour le jour. On y retrouve la réalité du quotidien d’expédition et quelques précisions sur l’acclimatation.
Deux interviews sur TVMountain ont également été réalisées par David Authman.
Pour moi, la notion de paliers, très présente dans le film, a évolué au fil des dernières expérimentations. Je l’ai remplacé par celui d’étages hypoxiques qui correspond peut-être mieux à la réalité. Cette approche ne propose pas de barrières fixes mais au contraire un espace plus large, plus adaptable à la réalité vécue dans chaque expédition (en fonction de la montagne, du groupe, du comportement de chacun).
Au-delà du contenu, le titre du film lui-même a fait réagir. « Progression escargot » : dans la démarche de cinéaste de François, il s’agissait évidemment de marquer les esprits et de faire un focus sur une réflexion. « Progression par paliers», «Progression douce» aucun des noms utilisés pour nommer la technique ne sont tout à fait satisfaisant : ils ne reflètent que partiellement la réalité expérimentée et de plus, ils sont difficiles à traduire dans une autre langue.
Peut-être est-il temps de trouver une autre dénomination, mais laquelle ?
Manaslu, printemps 2009
Être si nombreux, si haut sur la montagne et en pleine forme, reste le message fort de cette expédition. Oui, il est possible de vivre une « progression douce » sur un 8000 avec de réelles possibilités de réussite et sans effort « surhumain », ni traumatisme.
De ce voyage en altitude, François a ramené « Parenthèse à 8000 ». Ce film s’attarde sur les acteurs de cette aventure en haute altitude en leur donnant la parole. Pas d’images de montagne racoleuses, pas d’exploit, pas d’accident, pas de martiens en combinaisons bardés d’autocollants. Ni voix-off, ni commentaire. Un choix qui privilégie la mise en avant de la parole de chacun sur des images du quotidien de l’altitude. Cette mise à nu des émotions souligne les contradictions de chacun et les difficultés d’être.
Le film peut déranger ou agacer : il est loin de la production actuelle à grand spectacle.
Pour le visionner, il est disponible dans un encart de Montagnes Magazine, et bientôt sur ce site.
Un documentaire de France 3 (pour l’émission Chroniques d’en haut) éclaire le propos du film et explique les intentions du réalisateur.
Franchement, j’apprécie beaucoup la sincérité des témoignages recueillis par François pour ce film. D’ailleurs, je me retrouve un peu dans chacun des personnages. Je vais sur un 8000 pour me confronter à l’altitude et à la difficulté du métier de guide en expédition. Mais un peu comme chacun, j’y vais aussi pour soigner mon ego, me mettre hors du monde, faire un grand voyage, vivre une expérience humaine et continuer d’apprendre. Peut-être, pour me sentir vivre… Tout simplement.
La « progression douce », par son côté radical d’immersion et de décapant relationnel, contribue à répondre à mes attentes et à celles de mes co-équipiers.
Mais l’histoire n’est pas terminée !
Nous avons encore beaucoup de choses à apprendre, à échanger pour améliorer encore cette technique de progression sur les hauts sommets himalayens.
Nous avons surtout rendez-vous durant les trois prochaines années au Cho Oyu pour un projet surprenant.
« The Cho Oyu Experience ». Il s’agit pour moi de reconduire chaque année la même expédition avec un groupe, sur le même sommet, pour en améliorer l’organisation, pour approfondir nos capacités d’encadrement en haute altitude et notre connaissance de «la progression douce».
C’est un véritable laboratoire de recherche in situ sur la haute altitude, centré sur nos manières de faire, d’agir et de réagir, de coopérer… Pour rendre ces aventures extra-ordinaires encore plus belles.
Rendez-vous pour le prochain film ?
Paulo Grobel
Bon je suis vraiment une chévre parce que j'avais encore loupé cette page...
RépondreSupprimerIl faut vraiment que je trouve le film de Damilano sur le Manaslu. Je l'ai raté dans montagne magazine, raté quand il l'a présenté à Paris (?). Les quelques minutes dans le reportage de France3 son saisissantes. Finalement dans progression escargot il y a aussi la notion de la maison qu'on emporte depuis la France. Chacun vient vraiment chargé. C'est évident mais ca l'est encore plus aprés avoir regardé ce film.
Pas de souci Jean-Marc… C’était pas vraiment évident à trouver.
RépondreSupprimerD'ailleurs, je viens de modifier l’emplacement et j’ai écrit un petit mot sur le 1er message pour indiquer où trouver ces foutues pages.
Pour le film de François, « Parenthèse à 8000 » il sera bientôt en ligne. Pour l’instant, je prépare la mise en ligne du film de Nemo sur le Shisha, et celui de Jean-René sur notre dernier Noijing en 2010.
Au sujet de nos affaires transportées, c’est un sujet très intéressant… et un vaste chantier : « Ce dépouiller du superflu ».
Bon week end.
Paulo